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Deuxième
samou.Selon
les jours, cuisine ou travail au jardin. On désherbe le potager bichonné
comme une jeune mariée. II fournit une part importante des repas végétariens,
à base de légumineuses, de céréales et de légumes verts. Bien qu'à la
Demeure personne ne doive s'attacher à une activité, le potager est le
royaume bien ordonné de Johane. II y a un contraste détonnant entre cette
occupation terre à terre et son apparence évanescente de Lorelei méridionale.
Elle a enraciné le bouddhisme zen dans sa vie. Elle est végétarienne et
médite tous les jours. La préparation du déjeuner dans la vaste cuisine
requiert autant de patience que de tours d'horloge. Cuisson à la vapeur
dans des paniers de bambou, tronçonnage minutieux des légumes, mijotage
complexe des céréales et des légumineuses avec des herbes et des algues
pour les rendre plus digestes. Mine de rien, Marie veille à tout. Elle
séjourne à la Demeure depuis bientôt quatre mois, accueille les arrivants,
faisant la pause à l'extérieur - avec parcimonie -, clope au bout des
doigts. Trente-six ans, infatigable, tout sourire, elle ne laisse pourtant
rien passer à personne, et répète inlassablement les règles du temple
et du zen, qui occupent maintenant sa vie à plein temps, après des années
intensives de boulot sur ordinateur. Elle se replonge régulièrement dans
le " tenzo ryokun ", les "instructions destinées aux tenzos ", les moines
cuisiniers. Rédigé il y sept siècles par maître Dogen, le fondateur du
zen soto, le texte affirme qu'un tenzo peut atteindre l'éveil dans I'accomplissement
correct de sa tâche. La délivrance par l'épluchage de la salade, on ne
demande qu'à essayer... Un avertissement de Dogen qui démystifie l'idée
que l'on se fait d'un zen purement contemplatif: "L'esprit de la voie
du tenzo se réalise en relevant ses manches. " De l'action, donc. Le maître
recommande aussi de ne pas se laisser absorber complètement par sa tâche,
mais de veiller à l'harmonie du tout. Ne pas oublier de touiller le millet
pendant qu'on grille à la flamme les algues Nori avant de les effriter
dans la casserole. Tout est prêt. On met de l'ordre. En silence. "Quand
on prépare à manger, on attend souvent quelque chose des autres en retour,
remerciements, compliments.. . Si ça ne vient pas, on est déçu, explique
Sensei. Il faudrait faire la cuisine dans la plénitude de l'instant. Après,
c'est fini. On lâche. "
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Déjeuner.
Le
chou vert haché menu craque sous la dent dans le silence du zendo. Un
bout de jardin qu'on entend. Les repas muets affinent l'attention. On
redécouvre la plus banale des politesses, savourer au même rythme que
les autres convives. On se surprend à les deviner. A entrevoir les plus
attentifs, les affamés, les fatigués.. . Comme lorsque, gamine, on percevait
les états d'âme de maman juste à sa façon de nous servir la soupe.
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Cloche.Samou
à nouveau. Pas un miroir pour vérifier si on a le cheveu en bataille.
Pas de télé, de radio ni de journaux. "Comme si on était partie pour un
long voyage ", constate Mya, qui met son portable hors circuit. Fan d'escalade
et de natation, 40 ans, elle n'en fait même pas trente. Elle habite Aix
où elle essaie de méditer tous les jours. En un an, elle est déjà venue
une bonne demi dizaine de fois. " On se sent plus lucide...c'est-à-dire
qu'on voit mieux ses défauts. Parfois, je me demande s'il ne vaudrait
pas mieux être un imbécile heureux. "
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Zazen facultatif.La
forêt de sapins et de hêtres à la lisière de la Demeure bruisse doucement.
Sieste dans l'herbe en regardant le ciel. Dans la bibliothèque, cer-tains
cousent leur " rakusu ", " l'habit de la rizière bienheureuse ", une pièce
d'étoffe composée de bandes de tissu savamment assemblées. Un chef-d'œuvre
de complexité: de la taille d'un mouchoir que l'on porte autour du cou
pendant le zazen et les cérémonies, après avoir reçu l'ordination laïque.
II symbolise la transmission du savoir et de l'engagement de maître au
disciple.
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Dîner.Dans
les monastères nippons, on ne rallume pas les fourneaux. Ici aussi on
simplifie. On prépare avec les restes du déjeuner ou de la veille. Sensei
reçoit régulièrement l'un ou l'autre dans la pièce où elle habite, contiguë
au zendo. Elle écoute, va droit au but sans fioritures, calme l'ardeur
des néophytes. Le temple est ouvert à tous. Lieu de culte bouddhiste,
insiste-t-elle, il fait en respecter les règles. Et la pra-tique est difficile.
Mais on peut la rapporter chez soi. "A quoi servirait d'apprendre, sans
rien pouvoir en faire ensuite? "
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Méditation,entrecoupée
d'une marche silencieuse de dix minutes, "kin-hin", qui dégourdit
les articulations. Le parquet craque. On se rassoit. Paix provisoire.
Et si celui qui doit donner la fin du zazen atteignait soudain le nirvana
et ne frappait plus jamais la cloche? Angoisse. Que raconter sur la sérénité
alors qu'on se consume d'impatience sur son coussin? Bonne âme,
Sensei organisera une discussion sur le sujet. Sérénité,
le mot ne lui convient pas. "il évoque plutôt une coupure.
Comme si on flottait sur un petit nuage à l'écart du monde.
Bien sûr, en zazen, on comence par installer la tranquillité
en soi, mais dans le bouddhisme, il y a cette idée d'interdépendance
de tous les êtres. Si l'égo n'existe plus, la séparation
entre soi et les autres tombe. On n'est plus jamais seul." On rengaine
la sérénité. Les pratiquants parlent de calme, de
tranquillité, de joie même. Avec des hauts et des bas.
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On grimpe en vitesse en haut de la colline contempler les derniers rayons
du soleil aux couleurs très Renaissance, or, ciel, rose.
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Extinction des feux.Les
garçons dans un mini dortoir, les filles dans un autre. Du mardi 18 h au
mercredi après-midi, repos. Le mardi soir, tout le monde file au village
d'à côté déguster un café liégeois. Et, vraiment, avec toute la saveur de
l'instant. |
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