|
texte de Maître Moriyama d'après les "Instructions pour le Tenzo (cuisinier du temple)" de Maître Dogen. |
|
DAISHIN L'esprit vaste est comme l'océan: il reçoit toutes les eaux et les rivières sans en rejeter aucune. C'est l'esprit de celui qui voit une situation de la façon la plus large, sans se prendre lui-même comme point de référence. Généralement, nous réagissons par rapport à nous-mêmes: ça me plaît, ça ne me plait pas. Alors, nous voyons toujours le monde comme extérieur à nous-même, et nous le divisons en: bien / pas bien: ce qui va dans le sens de nos désirs, ce qui les empêche. Nous avons l'impression d'être au centre, choses et gens tournant autour de nous et nous passons notre temps à essayer de repousser, ou d'attirer vers nous; c'est une situation très fatigante, qui prend beaucoup d'énergie. Maître Dogen a dit " Peu importe où nous sommes, et les circonstances, nous exprimons toujours notre vie. Une personne stupide voit sa propre vie comme celle de quelqu'un d'autre; seul un sage comprend que même dans ses rapports avec les autres, il exprime sa propre vie à l'intérieur de ces rencontres. " L'esprit vaste est celui du non-ego, du non-attachement Dès lors que nous ne nous identifions plus à un Moi précis, celui qui ai-me telle choses, et déteste telle autre, nous pouvons vivre en harmonie avec tout ce qui se présente à nous. Dès lors que nous ne posons plus de jugement (bon/mauvais), nous pouvons travailler avec toutes les situations. Elles seront toutes sources de joie et d'expériences. Imaginez une personne qui n'aimerait que le sucré ... quel écœurement au bout de quelque temps! Pourquoi se priver de tous les goûts de la vie, amer ou doux, fort ou sucré. L'esprit vaste n'est pas dérangé par les circonstances; Maître Dogen poursuit: "Ne vous laissez pas emporter par les sons du printemps, n'ayez pas le cœur lourd devant les couleurs de l'automne !" Sinon, votre vie va de haut en bas, d'excitation en dépression, comme un yo-yo ! L'esprit vaste est stable comme une grande montagne, comme la posture de zazen, c'est l'immensité, et la tolérance. Lorsque l'esprit n'est plus encombré par les illusions du "je", par les classements et les idées préconçues, lorsque nous arrêtons d'essayer d' agripper le monde pour en tirer profit, alors peut apparaître KISHIN, l'esprit joyeux. C'est la joie profonde qui vient de la réalisation de l'unité. Unité à l'intérieur de nous même, plus de tiraillements ou de combats, unité entre l'extérieur et l'intérieur; non pas une joie fébrile, en rapport avec l'obtention d'une chose désirée, mais la plénitude d'être, l'harmonie vécue en s'accordant ( comme on accorde un instrument de musique ) à chaque minute de notre vie. Cette joie, c'est la réalisation de notre nature profonde, notre nature de bouddha, vide de toute illusion. C'est le chant de la rivière, le bruit du vent dans les pins, la musique des oiseaux: c'est une joie en mouvement, englobant et pénétrant toutes choses. Lorsque vie et mort, bonheur et malheur sont profondément compris -et acceptés- cette joie peut apparaître, et elle se diffusera autour de nous, et sera bénéfique à tous les êtres. Car ni esprit vaste, ni esprit joyeux ne peuvent exister sans KOSHIN, l'esprit aimant, la réalisation de la compassion; il ne s'agit pas de devenir sans sentiments, comme une pierre, ni de ressembler à un " imbécile heureux ", mais de réaliser pleinement notre relation d'interdépendance et d'interaction avec le monde: nous existons parce que tous les êtres et toutes les choses existent. Il n'y a pas la plus petite parcelle du monde qui ne soit: nécessaire à notre existence. Comment distinguer alors entre soi-même et autrui ? "Au passage du temps, nous devenons les autres, et les autres deviennent nous mêmes. Comment ne pas partager leurs joies et leurs souffrances? L'homme stupide se trompe, dit Maître Dogen, qui s'imagine qu'en s'occupant d'abord des autres, ses propres intérêts en pâtiront." Chaque geste de bienveillance et d'amour est partagé par tout l'univers. Esprit vaste, esprit joyeux, esprit aimant, -l'attitude du disciple du Bouddha. Au-delà du monde des désirs et des formes, nous pratiquons en nous abandonnant nous-mêmes. C'est à travers notre pratique qu'apparaît la pratique de tous les Bouddhas, et que la Grande Voie les rejoint. Puissions-nous réaliser ainsi l'Eveil avec tous les êtres.
|
||
|
Ces
deux textes ont été écrits et prononcés par
maître Moriyama, le 20 juin 1993, à la Demeure sans limites,
pour le premier anniversaire de l'ouverture du temple.
L'an dernier, à la Demeure sans Limites, une graine a été plantée, la graine du Dharma. Née de clairs espoirs, et de la volonté des Maîtres, elle a pris racine et cette année nous voyons les premiers bourgeons éclore - nous fêtons ensemble cette apparition de l'enseignement du Bouddha. Maître Dogen a écrit: "Les sons de la rivière sont les sutras et la voix du Bouddha, la forme des collines son corps merveilleux..." D'Inde en Chine, au Japon, en Europe, partout la terre même est le corps du Bouddha: à l'Est comme à l'Ouest, le Dharma se réalise dans chaque son, chaque couleur, chaque présence. Il se réalise ici, au centre de la France. Corps et esprits baignent dans la joie et la sagesse du Bouddha. Que l'Arbre de l'Eveil grandisse, et protège tous les êtres ! |